DONNONS LA PAROLE A NOS PRODUCTEURS LOCAUX :
Entretien avec
Frédéric De Baere : Viticulteur et cidriculteur aux Terres de Crompechine
Frédéric, pourquoi as-tu choisi ce métier et quel sens cela a-t-il pour toi ?
Je pense qu’on a plusieurs vies dans une vie. J’ai eu une vie professionnelle plutôt axée sur le service et, dans un service, on ne fabrique rien, on ne matérialise rien hormis son service. Ce n’est pas rien mais, entre-temps, on n’a pas de produit sur lequel on peut se reposer. Je n’ai pas changé de vie, mais je fais ça en plus. Finalement, j’étais animé par la volonté de faire une activité liée à la terre, mais je n’avais pas défini préalablement ce que je voulais faire. Je n’avais pas envisagé de devenir viticulteur ou cidriculteur, mais les rencontres ont fait que, finalement, ça s’est profilé ainsi et, plus le temps passe, plus c’est une évidence.
L’aventure a commencé en 2016. Nous sommes plusieurs porteurs de projets et, pour ma part, celui que je partage avec Jonathan et Johann, c’est le vignoble et le verger. Nous transformons les fruits en alcool en produisant du vin et du cidre. Au niveau de la transformation, les deux procédés sont vraiment très similaires. Hormis le raisin qu’il faut égrapper, tout le reste (comme les presses, les cuves et les pompes) est similaire.
Nous avons fait nos premiers tests à la cidrerie du Condroz avec Cédric Guillaume. C’est d’ailleurs lui qui nous a aidés et qui fait les plantations avec nous chaque année. Au verger comme au vignoble, le plus difficile est de bien choisir la variété de pommes que l’on va planter parce que cela impactera les dix prochaines décennies. Ça vous met un peu de pression, quand même !
Ce qui était très chouette, c’est que nous avons fait plein de très belles rencontres et que nous avons énormément aidé d’autres personnes. Contrairement à ce que nous pensions à propos de la collaboration entre agriculteurs, et plus particulièrement dans notre secteur, elle est bel et bien présente ! Il y a un partage de connaissances et de toute une série de choses. Je pense qu’il existe peu de métiers dans lesquels vous invitez vos concurrents à venir goûter votre production et que ceux-ci vous disent ce qu’ils en pensent.
Je ne dis pas que tout le monde est comme ça, mais je constate qu’une grande partie est très ouverte au partage d’expériences. J’essaie actuellement de monter un collectif comme « les cidriers wallons » pour justement essayer de partager nos expériences, nos succès ou nos petits « couacs » divers et variés. J’ai justement un collègue qui m’a téléphoné hier parce qu’il cherchait de la levure.
Je trouve ça beau et en même temps quelque peu étrange. Ce n’est pas commun et c’est très chouette. Peut-être que je suis trop enthousiaste, ce n’est pas impossible.
Nous avons un projet sur la durée car, avant que les arbres ne soient vraiment productifs, il faut attendre 10 ans. Nous avons planté nos premiers arbres fruitiers il y 5 ans et nous en replantons chaque année depuis 5 ans. Nous souhaitons que notre projet soit durable ; pas durable dans le sens médiatique du terme, mais durable dans le sens résilient et durable dans le temps ! C’est un projet qui va se perpétuer sur plusieurs générations car un pommier, s’il est bien entretenu, vit une bonne centaine d’années. Trois générations vont bénéficier du fruit du travail de la plantation de l’arbre. Il en va de même pour le vignoble, si ce n’est qu’il perdure un peu moins longtemps. On estime que sa durée de vie est comprise entre 40 et 70 ans. Mais 70 ans, cela représente quand même deux générations ! On peut effectivement parler d’une culture pérenne.
Nous voulions implanter quelque chose de durable, contrairement aux cultures annuelles qui nous nourrissent et qui peuvent être déplacées d’une année à l’autre sans changer fondamentalement les choses. Il est bien plus difficile de déplacer des arbres !
Nous voulions, dans notre perception du « local », être liés à la terre et ce, sur plusieurs décennies. Nous voulions nous fixer et nous enraciner ici, dans le village, dans la terre elle-même. Notre volonté est de nous impliquer également dans toute une série d’actions diverses et variées auxquelles nous participons autant que possible. Nous participons ainsi au projet « diversi fruits » et nous essayons, dans la mesure du possible, d’avoir des interactions avec d’autres producteurs même si, aujourd’hui, elles sont encore peu nombreuses puisque nous venons tout juste de commencer notre activité de transformation. Il faut savoir que pour faire du cidre par exemple, il faut attendre à chaque fois un an. L’année dernière n’était pas une année exceptionnelle pour la fruiticulture. Nous avons eu un été très compliqué, très pluvieux, mais les choses vont beaucoup mieux cette année !
“Nous avons un projet sur la durée car, avant que les arbres ne soient vraiment productifs, il faut attendre 10 ans”
“Il n’y a pas de tailles mécaniques, et toutes les cueillettes se font manuellement”
Notre technique
La résilience des hautes tiges
Notre exploitation agricole est tournée vers des pratiques ancestrales : nous possédons des vergers haute-tige, où les arbres sont écartés de 12 mètres les uns des autres. Nous sommes loin d’un modèle basse-tige intensif où c’est le rendement qui prime. Ce qui nous intéresse, c’est le côté résilient, parce que dans une monoculture où vous n’avez qu’une seule variété de fruits, quand vous avez un souci, s’il y a une maladie ou un coup de gel pendant la floraison, c’est toute votre production qui sera affectée ou que vous perdrez. Ici, nous avons plus de 35 variétés de pommes avec des floraisons étalées sur 5 groupes répartis sur nos terres. Nous avons aussi moins de risques avec nos hautes tiges. Sans entrer trop dans la partie technique, les basses tiges sont plus facilement touchées par le gel au sol et par les maladies cryptogamiques car, lorsqu’il pleut, toute la ramure des basses tiges est éclaboussée, alors que les hautes tiges, qui mesurent 2 mètres, sont moins exposées. On prend aussi soin de nos arbres en mettant de la chaux sur les troncs durant le printemps. Nous avons envie de présence, notamment de présence à long terme sur le territoire !
Peut-être que ce n’est pas très important mais le fait d’être sur ses propres terres permet de mieux comprendre ce qu’il s’y passe. Ce qui est important et chouette pour nous, c’est de garder le côté manuel. Il n’y a pas de tailles mécaniques, et toutes les cueillettes se font manuellement. Personnellement, malgré les inconvénients inhérents au travail manuel et les différents éléments et paramètres à gérer, cela m’amène beaucoup de satisfaction.
Quant à notre transformation de cidre et de vin, nous faisons tout ici ! Nous appliquons le principe de « zéro kilomètre ». Actuellement, pour le cidre, nous ne sommes pas encore à 100 % de production mais, à terme, l’objectif est de tout produire et de tout transformer sur place. Nous faisons déjà toute la transformation, nous pressons et nous mettons en cuve. À terme, nous souhaitons aussi vendre notre production, sur nos terres et dans toute une série de points de vente, le plus près possible pour atteindre notre objectif « zéro kilomètre », au moins entre la production et la transformation d’une part, et une partie de la vente d’autre part.
Q&R
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité ?
Ce qui me plaît vraiment, c’est de remettre chaque année notre titre en jeu. Rien n’est acquis. Il y a tellement d’aléas qu’on ne peut maîtriser, qu’il s’agisse des conditions climatiques ou du processus de fermentation. La beauté de mon travail, c’est de parvenir à produire et à transformer pour ensuite avoir ce produit qui est le travail de toute une année.
Toute une année pour acquérir de l’expertise et de l’expérience. Toute une année où l’on fait face au défi perpétuel du lien à la terre, avec tous les aléas que cela comporte. Finalement, c’est très gratifiant quand on parvient à sortir une bouteille ! Ça ne se voit pas toujours quand on l’achète, mais quand on la fabrique, on en est bien conscient du travail réalisé. Et pour moi, tout ceci est vraiment très gratifiant… Et que dire de pouvoir la boire par la suite !
“Rien n’est acquis. Il y a tellement d’aléas qu’on ne peut maîtriser”
Qu’aimerais-tu dire aux Andennais ?
Nous nous inscrivons simplement dans la vie villageoise avec notre activité. Nous avons une exploitation à taille humaine et sociale, dans la mesure où nous partageons cet espace avec des porteurs de projets qui ont chacun leur identité, en lien avec les Terres de Crompechine. Nous avons Elvira, notre fleuriste, qui s’occupe de « Fleurs en folie », et puis « la Charrette à poules » que Florian anime, la « Maison Fischer » pour le miel avec Christophe et Maïté, alors que Jonathan, Johann et moi-même nous occupons du verger et du vignoble. Il y a de l’emploi et nous essayons, dans la mesure du possible, d’avoir recours aux ressources locales, aussi bien pour les porteurs de projets que pour tous les corps de métier. Dans nos vergers, les moutons qui paissent sont amenés par un fermier de Fernelmont, et Florian (la Charrette à Poules) et Elvira (Fleurs en folie) habitent tous deux dans la rue, ici même ! C’est vraiment un chouette message de pouvoir dire que lorsqu’on parle de local, c’est vraiment très local ! Bref, nous participons simplement à l’économie locale.
“Nous nous inscrivons simplement dans la vie villageoise avec notre activité”
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