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Entretien avec

Adriano Boremanse : Maraîcher au POTAGER DE WASSEIGES

Adriano, pourquoi as-tu choisi ce métier et quel sens cela a-t-il pour toi ?

J’exerce ce métier depuis 7 ans maintenant.

Adolescent, je voulais faire de la recherche en neuroscience, et c’est dans ce domaine que je me suis dirigé à l’université. Ce n’est que plus tard et, progressivement, que je me suis intéressé au maraîchage. En réalité, je viens d’une famille essentiellement citadine, composée d’intellectuels de gauche légèrement déconnectés de la nature. J’ai donc grandi dans une ambiance critique et suspicieuse à l’égard des grands médias et des politiques, et c’est ce qui m’a amené à faire de l’activisme politique dès mon arrivée en Belgique, il y a 18 ans (je suis né et j’ai grandi au Guatemala).

Pendant des années, j’ai fait de la sensibilisation environnementale, de l’activisme contre les armes nucléaires, pour l’abolition des frontières et contre la publicité. En fait, ce sont ces années d’activisme qui m’ont appris que, finalement, l’activisme ne sert pas à grand-chose. En tout cas, je ne pense pas que cela engendre de grands changements de société. Je pense que ce côté critique (activisme, manifestation) fait partie du système, un peu comme l’inspiration d’un côté et l’expiration de l’autre.
Je ne pense donc pas qu’il soit possible de changer le système de l’intérieur.

Je pense qu’il faut créer des systèmes parallèles qui rendent les anciens systèmes obsolètes.

Pendant que j’écrivais ma thèse et que je faisais de l’activisme, j’ai commencé à me poser des questions existentielles avec une envie croissante de participer à des changements mesurables de MON vivant. Je ne voulais pas attendre 60 ans pour être sûr d’avoir apporté ma pierre à l’édifice. J’avais besoin d’avoir un impact à court terme.

À ce moment-là, ma compagne Marie-Pierre suivait une formation en permaculture, ce qui m’a permis de découvrir la culture et le travail liés à l’environnement naturel.
C’est là que, petit à petit, j’ai compris que cette activité pourrait me plaire et que ce domaine réunissait plusieurs choses que je trouvais importantes.
Je m’intéresse à la santé naturelle et à la nutrition depuis une bonne douzaine d’années. Dès lors, je lis, je m’informe et je trouve que tout cela correspond bien aux métiers de maraîcher et de psychologue.
Et puis, là où j’ai été vraiment convaincu du potentiel du maraîchage comme outil de changement social, c’est dans la compréhension de l’importance du local. Les politiciens sont corrompus, les entreprises multinationales actives dans l’agroalimentaire ou dans la distribution d’aliments sont également corrompues et ne visent que le profit, voire pire ! Cela ne les dérange pas d’empoisonner les gens tant qu’on ne les attrape pas. La solution, c’est de privilégier le local. C’est plus écologique, mais nous avons également besoin de davantage de pouvoir politique local pour nous protéger contre la corruption politique et économique. Cela ne règle pas automatiquement tous les problèmes mais cela nous permet au moins d’être plus proche des décideurs, de mieux voir ce qui se passe et d’intervenir.

Si on comprend l’importance du local, on peut se rendre compte que l’Europe pose problème en tant qu’entité économique et politique, car on donne plus de pouvoir à une structure supranationale. C’est l’exact opposé du local. Davantage de séparation entre les décideurs et les électeurs ne fait que créer plus de corruption et aboutit à des systèmes qui ne sont plus au service des populations.

Adriano Boremanse Maraîcher au POTAGER DE WASSEIGES

“Là où j’ai été vraiment convaincu du potentiel du maraîchage comme outil de changement social, c’est dans la compréhension de l’importance du local”

Adriano fiche

“Nous redynamisons aussi le tissu social et nous participons au renforcement d’une économie plus locale, plus durable, plus résiliente”

L’impact du local

Un engagement, une philosophie

Si je continue mon activité maraîchère, c’est également parce que j’adore être dans les champs, planter, semer, désherber, réfléchir, etc. Je trouve ce métier génial. Mais j’ai aussi découvert le contact avec les gens grâce à la commercialisation des légumes. Même si je suis introverti, les échanges avec les gens sont vraiment chouettes, car ces personnes sont généralement très sensibles au local, à l’artisanal et au bio. On rencontre aussi beaucoup de personnes avec lesquelles on partage un engagement, une démarche philosophique.

Oui, on sent qu’il y a des gens qui comprennent que les petits producteurs ne se contentent pas simplement de produire et de cultiver des légumes bons, sains, sans poison et goûteux. Ces personnes comprennent que nous redynamisons aussi le tissu social et que nous participons au renforcement d’une économie plus locale, plus durable, plus résiliente, moins dépendante des marchés mondiaux cotés en bourse. Moins dépendante également ou moins en compétition directe avec les grandes surfaces (qu’il faut combattre, selon moi). Sans avoir un esprit particulièrement belliqueux, je crois que l’industrie de l’agroalimentaire et les grandes surfaces sont nos concurrents les plus directs. Tout le monde doit s’en méfier car ce sont des entreprises malhonnêtes qui n’hésitent pas à mentir à leurs clients pour vendre plus et qui exploitent leurs fournisseurs.

Q&R

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton activité ?

Beaucoup de choses me plaisent.
Je suis une personne solitaire, et j’aime passer du temps seul parce que cela me permet de me ressourcer. Et puis, je ne suis pas vraiment seul : je suis entouré d’insectes, de mulots, de chats, d’hérissons et d’oiseaux. Il y a quand même pas mal d’animaux qui me tiennent compagnie, avec lesquels je ne m’entends pas toujours bien (dit-il en riant) mais qui me tiennent compagnie quand même.
Quand je faisais de la recherche, j’étais dans un laboratoire ou dans un bureau, toute la journée, pendant des heures. Je pouvais travailler beaucoup, mais j’étais assis tout le temps derrière un écran. Ici, c’est un métier où on bouge beaucoup, on fait de l’exercice tout le temps.

Je suis sportif et, depuis que je suis maraîcher et aussi parce que j’ai des enfants, je ne fais plus de sport parce que mon travail est devenu mon sport.

La tête à l’air libre, dans le vent, le crâne au soleil et les pieds dans la terre ou dans l’herbe. C’est excellent pour la santé et pour le moral, et ce métier me convient parfaitement.

Peut-être qu’un jour, je suivrai mes autres centres d’intérêt et que je commencerai des études de naturopathie. Mais je verrai ça plus tard quand mes enfants auront grandi.

La tête à l’air libre, dans le vent, le crâne au soleil et les pieds dans la terre ou dans l’herbe. C’est excellent pour la santé et pour le moral, et ce métier me convient parfaitement

Adriano et le hérisson

Sans vouloir culpabiliser personne, je trouve vraiment catastrophique l’époque particulière dans laquelle nous vivons, avec une virtualisation croissante des rapports entre les humains, des services aussi avec l’aide de l’intelligence artificielle qui arrive à grands pas, et un système économique cadenassé et délié des écosystèmes et des êtres humains

Adriano, Xavier et Christophe

Qu’aimerais-tu dire aux Fernelmontois ?

Sans vouloir culpabiliser personne, je trouve vraiment catastrophique l’époque particulière dans laquelle nous vivons, avec une virtualisation croissante des rapports entre les humains, des services aussi avec l’aide de l’intelligence artificielle qui arrive à grands pas, et un système économique cadenassé et délié des écosystèmes et des êtres humains.

J’aimerais leur dire que le choix des gens en tant que consommateurs est décisif aujourd’hui.

Je pense que beaucoup de maraîchers et moi-même constatons que les gens nous soutiennent beaucoup moralement parce qu’ils comprennent de plus en plus l’intérêt de privilégier le local. En revanche, il est plus difficile de modifier les habitudes alimentaires et d’accepter de passer plus de temps et de consacrer davantage d’argent à l’achat de nos aliments. Les monopoles ne sont jamais bons pour les peuples. Pourtant, ils se multiplient avec des partenariats publics-privés dont je me méfie énormément.
Je pense que les années à venir seront déterminantes. Nous verrons si les petits producteurs se développent et augmentent en nombre. Le soutien de la population est crucial afin qu’on ne disparaisse pas d’ici 15 ans. À mon avis, tout le monde peut comprendre qu’il est problématique que les multinationales contrôlent tout. Il faut essayer de regagner un peu de pouvoir personnel, ce qui passe par la production locale d’aliments et d’énergie, ainsi que par des politiques locales.

Quand les gens nous soutiennent, ils soutiennent la production locale d’aliments sains, la non-dégradation des sols, l’augmentation de la biodiversité et la création de liens dans des petites communautés.

“À mon avis, tout le monde peut comprendre qu’il est problématique que les multinationales contrôlent tout. Il faut essayer de regagner un peu de pouvoir personnel, ce qui passe par la production locale d’aliments et d’énergie, ainsi que par des politiques locales”

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